Description du projet
Lee Hyun Joung
MÉMOIRE DU VENT
Diplômée en arts visuels à l’Université de Sejong en Corée du Sud, Lee Hyun Joung développe des séries de paysages à l’encre, issus de souvenirs de son pays natal qu’elle mêle à des projections rêvées de lieux vastes et irréels. La ligne d’horizon unique y est remplacée par une multitude de lignes parallèles et sinueuses, qui se dédoublent et s’accumulent comme des strates géologiques ou des rides de sédiments, conférant une grille de lecture à ces vues aériennes sans échelle ni proportion.
Tendant à l’abstraction, le détail est évacué au profit de la sensation d’infini et de la nature incertaine de l’élément figuré : une vague pourrait tout aussi bien être une montagne. Entre chaque tracé ininterrompu, le blanc laissé vacant du papier n’est pas un blanc inactif, correspondant à l’idée, très largement répandue dans la pensée taoïste du vide et du plein, que l’intervalle est ce qui fait la connexion entre les objets visibles. Et c’est précisément après un temps de silence, pointe Lee Hyun Joung, qu’une ligne jaillit : quelque chose advient sur fond de rien. Les lignes, créées au rythme de son corps, se superposent comme des portées musicales ou les ondulations de l’estran laissées par la marée basse : elles gonflent et se retirent à la manière d’un souffle.
Lee Hyun Joung rapproche ces formes d’un chemin de vie, d’une promenade initiatique qui relève moins d’une étape délimitée que d’un temps cyclique, celui que les Grecs nommaient aiôn. Comme la nature (désert, terre, mer) à laquelle elle se réfère, chaque ligne tracée à l’encre tend à être générique, c’est-à-dire abstraite du parcours personnel de l’artiste pour avoir une portée plus universelle. Presque exclusivement bleue ou noire, l’encre est également écriture, que Lee Hyun Joung déploie sur des feuilles hanji, papiers populaires coréens fabriqués à partir d’une pâte de mûrier. En Corée, le papier hanji est utilisé traditionnellement pour la calligraphie, le tapissage des murs et fenêtres de la maison, la confection d’objets. Les feuilles de mûrier sont plongées dans l’eau, malaxées, séchées, découpées et les chutes sont réintégrées pour façonner d’autres feuilles dont l’artiste conserve l’irrégularité et l’épaisseur des fibres. Le support qui en résulte est une matière-palimpseste, comme des lambeaux de mémoires accumulés pour former une couverture.
Lee Hyun Joung évoque également la technique traditionnelle du bojagi, sorte de patchwork coréen transmis de génération en génération, dont la première fonction est prophylactique et apotropaïque. Lee Hyun Joung rapporte que, enfant, elle inventait déjà des paysages à partir des tâches d’humidité du papier hanji qui enveloppait le sol de sa maison.
Elora Weill-Engerer