Agnès Marffy

« 18h10 »

Depuis trois ans, mon téléphone sonne chaque jour à 18h10.

Pas pour me rappeler un rendez-vous, mais pour me rappeler de regarder. Après une journée remplie, j’ai choisi de m’arrêter, de regarder autour de moi, et de capturer cet instant. J’ai 60 petites secondes.

Pourquoi 18h10 ? Parce que c’est l’heure où je suis souvent dehors, entre deux lieux, entre deux temps, deux rôles, deux vies. L’heure où tout semble suspendu, où les couleurs changent, où le monde se fait plus mystérieux. L’heure entre chien et loup, justement.

À cette heure-là, où la lumière bascule, où le jour hésite encore avant de laisser place à la nuit, mon alarme retentit. Je dégaine mon téléphone, et là, il faut choisir : quelle cible ? Ce reflet sur une vitre, cette silhouette qui passe, ce détail qui, d’ordinaire, m’aurait échappé ?

J’ai choisi le noir et blanc pour retirer la distraction des couleurs et me concentrer sur l’essentiel : les formes, les contrastes, les émotions. En éliminant la couleur, la photo devient plus intemporelle, plus silencieuse. Le regard se pose autrement, la lumière raconte l’histoire, et les sujets prennent une présence nouvelle.

C’est un choix à la fois esthétique et sensible : le noir et blanc transforme l’ambiance, révèle la texture du quotidien, et met en valeur ce qu’on ne remarque pas toujours.

Ces photos, c’est une façon de me reconnecter au présent, de cultiver l’émerveillement, et de partager cette attention au monde. C’est aussi une invitation à ralentir, à observer, à s’étonner.

C’est une trace de mes journées, c’est une chasse aux instants.

Une façon de me dire : « Attention, ne passe pas à côté. » Parce que la poésie est là, partout, mais il faut parfois une alarme pour s’en souvenir.

Ces photos, ce sont des preuves : la magie existe, il suffit de la capturer.

Agnès MARFFY
Photographe de 18h10

© Image : Agnès Marffy